Tante May et les émeutes
En passant l'autre jour chez Grey, le mondain, je me suis rappelé d'un moment fort à propos duquel les médias n’auront évidemment rien dit. Il y a tout juste un an, Enzo Enzo était en concert à Drancy et je m’étais précipité au centre culturel afin d’acheter deux places - pour Shaggoo et moi - sachant que cette artiste fait partie de ses chanteuses préférées.
J’étais bien content de lui faire ce plaisir et de trouver par là l'occasion de lui présenter ma banlieue sous un autre jour... Hélas, à même époque, les "sauvageons" embrasaient leurs quartiers réputés difficiles tandis que les titres des journaux télévisés rajoutaient, à leur manière, chaque jour un peu d'huile sur le thème déjà brûlant de l’insécurité.
Shaggoo ne vit pas, le soir venu, sa chanteuse préférée. J'avoue, aujourd'hui, que cela me fit de la peine. Je ne pouvais, évidement, lui reprocher sur le moment de vouloir protéger des flammes sa voiture immatriculée dans le... 75 !
C’est ainsi que je me suis décidé, au tout dernier moment, à proposer à Tante May de m’accompagner au centre culturel. Avec ce drôle d'enthousiasme qui l'anime encore, la vieille dame accepta sans hésitation et me prit aussitôt le bras en direction de la salle de spectacle, ne sachant rien de l’artiste que j’allais lui faire découvrir.
Ce fut un vrai bon moment et les tensions extérieures furent vite oubliées dès le rideau levé. Tante May, à la fin du concert, avait tenu à faire plaisir au Shagggo, patientant pour obtenir une dédicace que je lui remis dès le lendemain.
Elle était fière et heureuse, Tante May, sur le chemin du retour. Nous ne pensions plus à la menace qui, pourtant, pouvait surgir à tout moment des alentours. Nous marchions, d’un pas tranquille, rentrant chez nous. On se doute que je n'étais pas rassuré. Mais je me dis, tout le temps que dura notre marche, que si cette femme de 91 ans sortait de nuit, sans crainte apparente, dans cette ville qu’elle connaît depuis si longtemps, alors je ne devais pas avoir peur, moi non plus.
Bien sûr, à cet âge, la mémoire est sélective. Et lorsque nous évoquons, entre nous, cette soirée de novembre, elle s'en souvient comme d’un bon spectacle et parle encore de "quelqu’un de bien".
Je ne saurais, bien entendu, cautionner la violence et les destructions commises pendant ces nuits d'émeutes. Mais, voyez-vous, je n’aime pas la manière qu’ont les journalistes de traiter le malaise de nos banlieues, un an après. Et, avec le recul, je suis bien heureux d’avoir permis à Tante May d’ajouter à ses souvenirs cette soirée improvisée et d'avoir vécu, à ses côtés, un moment formidable...
Votre Peter Parker